Mon premier procès d’assises : être la voix des enfants

Mon premier procès d’assises : être la voix des enfants

Dès mon arrivée à la Cour, je sens la pression monter, elle en est presque palpable… J’ai peu dormi la veille, passant la nuit à envisager tous les scénarios possibles et inimaginables dans ce procès.

La salle d’audience est pleine, je réalise que la plupart des personnes présentes sont de « potentiels » jurés et qu’ils ne resteront pas nécessairement pour la suite des débats. Plus tard lors du procès, j’ai fait la connaissance d’un couple de retraités qui m’a précisé parcourir la France pour assister à différents procès d’assises.

Je me présente timidement à mes Confrères de la défense. Le contact a rapidement été très bon et bienveillant. Étant bien plus expérimentés que moi, ils m’ont parfaitement soutenue pour ce baptême du feu.

La première étape du procès consiste à sélectionner les jurés d’assises qui vont assister à l’ensemble des débats, soit quatre jours. Le ton est donné : solennel et grave.

On poursuit avec le calendrier du procès et un premier contretemps : l’accusée indique ne pas avoir d’avocat malgré sa demande. Le magistrat suspend la séance et mandate un avocat dans la foulée.

Les débats débutent alors. Experts, enquêteurs, témoins proches ou moins proches des accusés défilent à la barre pour apporter une expertise technique ou pour raconter leur vécu. Je redécouvre le procès d’assises : chacun, à sa manière, présente la réalité qui est la sienne. A nous de l’interpréter ensuite.

A chaque déposition, le magistrat nous invite à poser des questions, ce qui rallonge considérablement les débats.

Les récits sont prenants, violents par moments, émouvants parfois. Je passe par toutes les phases émotionnelles existantes, on vit les faits à 100%. Certains témoignages m’émeuvent aux larmes…

Je dois dire que pour un premier procès d’assises, j’ai été servie. L’histoire est sordide, d’une extrême violence. Alexandre D et Sophia R ont été renvoyés devant la Cour d’Assises de Seine-et-Marne du chef, pour Alexandre D, de violences volontaires aggravées ayant entraîné la mort, pour Sophia R de non dénonciation de traitements infligés à un mineur, le fils de l’accusé, L., âgé de deux ans et demi au moment des faits. J’ai eu l’honneur de représenter deux petites filles, les sœurs de L. , prises en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), un service public départemental.

L. est décédé au domicile du couple, qui tentera de justifier le drame par une chute du canapé.

Mais compte-tenu des nombreuses ecchymoses sur le visage et le corps de l’enfant, une autopsie a été ordonnée, révélant un polytraumatisme thoraco-abdominal à l’origine d’une hémorragie interne et un éclatement du foie sur six centimètres.

Le rapport d’autopsie est insupportable, la violence semble avoir été terrible. Les premières images de ce petit garçon, si beau, avec de grand yeux bleus et plein de vie, tranchent avec les suivantes : celles d’un enfant inerte, dont la vie lui a été ôtée. La troisième nuit du procès, j’en ai fait des cauchemars.

Ce n’est cependant pas le plus difficile à supporter. Le père a en effet nié les faits affirmant ne pas avoir été là lors de la chute de L. Pourtant, les rapports médico-légaux démontrent que les lésions traumatiques étaient survenues douze heures avant le décès du petit garçon, révélant une maltraitance extrêmement violente, Alexandre D n’a cessé de changer de version et de nier les faits.

Je suis frustrée par les réponses d’Alexandre D, ou plutôt par l’absence de réponses. Le procès est censé apporter des éclairages à nos interrogations ! J’espérais pouvoir comprendre, entendre ce qui amène un père à battre un enfant d’à peine deux ans et demi jusqu’à l’éclatement de son foie – ce qui survient en cas de graves accidents de voiture. Ce n’est pas ce qui se passe. Alexandre D me paraît lâche, insipide, niant tout, rejetant la faute sur son ex-compagne et n’apportant même pas un commencement de réponse.

J’ai préparé ma plaidoirie la veille pour le lendemain, la bonne connaissance et l’étude préalable du dossier ne revêtant à ce stade qu’une importance relative : les jurés n’ont en mémoire que les débats des 3 jours précédents. Mes Confrères ont été très aimables et m’ont donné tous les conseils possibles pour gérer mon stress, que je maitrisais de moins en moins. Quelques photos des petites filles sont diffusées, je précise leur situation de vie et le suivi de leur scolarité. Je parle avec le cœur, je plaide ma frustration face à l’attitude de Monsieur Alexandre D et la nécessité d’établir la vérité pour permettre aux sœurs de L. de comprendre le drame familial qu’elles ont vécu.

Le couple est reconnu coupable de l’ensemble des faits qui lui était reproché. Alexandre D écope de 20 ans de réclusion criminelle pour des violences volontaires ayant entraîné la mort de son fils. Son ex-compagne est condamnée à quatre ans de prison, dont deux fermes.

Les prévenus ont été jugés et la vérité judiciaire est sans doute conforme aux faits. Mais il reste un sentiment d’insatisfaction : personne ne pourra dire aux sœurs de L., absentes lors des débats, que leur père et ex belle-mère ont reconnu (et regretté) la violence dont elles n’ignoraient sans doute rien… L’expérience, aussi intéressante qu’enrichissante, me marquera probablement à vie. J’ai incontestablement grandi.